Conférence débat – 31 janvier 2020 – Lyon
Isabelle ROME, magistrate, haute fonctionnaire à l’égalité Femmes-Hommes au Ministère de la Justice, et auteure
Le vendredi 31 janvier au
Novotel de Bron, environ soixante-dix personnes étaient présentes avec Isabelle
ROME, qui proposait un exposé autour du thème « La force de la loi,
l’humanité du juge ».
Un parler vrai, un exposé
brillant et plein d’humanité, où les questions de fond se mêlaient aux
questions d’actualité, a permis de percevoir les enjeux éthiques et humains que
tout acte de jugement implique. Voici un écho de cet exposé.
La loi nous protège
Elle
protège la société mais il reste au juge à l’interpréter en fonction des faits
et des personnes. L’appréciation des faits se fait aussi en tenant compte de la
personnalité du justiciable. La loi pénale doit être appliquée à la lettre,
mais il est nécessaire d’avoir tous les éléments (caractère du délit, preuves
de la responsabilité, de l’intentionnalité) pour juger. Si un élément n’est pas
présent, le juge a nécessité de le faire exister par les questions qu’il va
poser.
Quand
le justiciable est dans une dénégation, c’est difficile à entendre et difficile
à juger. Dans ce cas, il est encore plus nécessaire de garder en tête les
grands principes fondamentaux et les critères donnés par le code de procédure
pénale.
Pour
les personnes récidivistes, il est important de regarder aussi comment ne pas
attenter à leur liberté pour que la sanction soit proportionnée à l’acte commis,
cela veut dire tenir compte des actes antérieurs, du temps déjà passé en
prison, et de la gravité de l’acte à juger.
Pour
un juge, c’est rassurant, de pouvoir se dire qu’on a interprété la loi le
mieux possible. Et là, c’est tout l’intérêt de l’écriture de la motivation de
la décision, devenue aujourd’hui obligatoire. On peut penser qu’on s’est
trompé, mais se dire « J’ai appliqué la loi à la lettre, j’ai laissé le
moins possible la place à mon arbitraire » ; cela donne une
meilleure conscience.
Quelques points concrets
d’actualité
On
parle beaucoup de « féminicide », à la lettre, c’est tuer une
femme parce que c’est une femme. Dans le meurtre d’une femme par son conjoint :
ce qui est mis en cause c’est le lien conjugal ; l’homicide sur conjoint,
ça existe dans la loi et il est requis de façon générale une condamnation à
perpétuité.
Si
on créait une loi « spécifique » pour les féminicides, ça voudrait
dire que dans une cour d’assises, il faudrait répondre, non seulement aux
questions sur les circonstances du meurtre, la personnalité de l’accusé, mais
aussi à la question « est-ce que la mort a été donnée parce que c’est
une femme ? » et là ça devient impossible à évaluer – créer une loi
pour les féminicides, c’est sans doute une fausse bonne idée.
Dans
la justice, il y a eu aussi des avancées dans une compréhension psychologique. Les
juristes ont mis plus de temps à prendre conscience des mécanismes qui se
jouent chez les femmes victimes, notamment concernant l’emprise, la domination
et les dépendances affectives. Avant, on considérait les femmes comme
ambivalentes, alors qu’aujourd’hui, on sait que ça fait partie de ce processus
du fait d’être victime. Maintenant, la prise de conscience que ce n’est pas
normal de faire violence, voire de tuer une femme et encore moins de se faire
agresser est beaucoup plus présente. La formation des magistrats est
nécessaire, sans doute aussi pour faire entrer les termes dans la loi et le
code pénal.
Un
autre point qui fait actuellement débat : «la possibilité pour le soignant
de déroger au secret médical ». Pourquoi ?
Il y
a un constat : un certain nombre de femmes meurent, alors qu’elles avaient
consulté plusieurs fois mais aucun signalement n’avait été fait. Face à cela la
Justice s’est remise en cause, et il a été demandé à l’Inspection générale de
la Justice de mener une enquête approfondie.
Sur soixante
homicides ayant été jugés, six victimes avaient un cheminement médical avant le
coup fatal. Les soignants peuvent porter les faits devant la justice, s’ils
considèrent qu’il y a un danger vital immédiat et que la victime est sous
emprise. Cette notion d’emprise est encore à décrire.
Une
posture éthique
Le
Juge ne peut s’exprimer sur les affaires qu’il a jugées et sur ses motivations,
du moins au-delà de la motivation écrite de sa décision. Il ne peut pas commenter
une décision de justice dans les medias même en réponse à des attaques.
Au
cours du procès, la motivation qu’il va mettre en avant devant la cour et
l’accusé est déterminante et va permettre la mise en œuvre du principe contradictoire.
C’est lui qui va ouvrir au débat, il y a
donc une vraie éthique de la motivation. Cela implique que ce qui est présenté
soit lisible et compréhensible, par tous, les jurés, les avocats, les accusés,
les plaignants, et les gens dans la salle. Il ne doit blesser aucune des deux
parties et ne pas hypothéquer l’avenir des justiciables par des commentaires
inutiles.
L’application
de la loi, c’est aussi une manière d’être à l’autre. C’est toujours un humain
en face d’un humain, et on ne peut l’oublier. La loi est toujours au service de
l’humanité et de la société, c’est un outil de paix sociale. Le juge doit
toujours regarder la personne accusée en face au moment de l’énoncé de la
sentence, et aussi la société. Isabelle Rome dit être portée par la philosophie
d’Emmanuel Levinas : l’expérience d’autrui prend la forme du visage.
Envisager l’autre dans sa singularité, sans oublier que chaque être s’inscrit
dans un espace social. D’autres philosophes nourrissent aussi sa réflexion, notamment
J.J. Rousseau : « De toutes les vertus, la justice est celle qui contribue
le plus au bien commun des hommes. » et Pascal : « La
justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est
tyrannique. »
La loi est un outil au service d’un mieux vivre ensemble au service de l’humanité
On a
fait évoluer l’émancipation des femmes depuis l’après-guerre. Parfois, la loi
booste l’évolution des mœurs. Par exemple, la parité en politique et dans les
conseils d’administration. Ce qu’on entend : « On privilégie les
femmes et pas la compétence », ou bien : « On n’en trouve pas,
pas de disponibles… ». Cependant, on constate qu’il y a 40 pour cent de
femmes actuellement à l’assemblée, en 1997, il y en avait seulement 12
pour cent.
D’autres
exemples interrogent aussi les pratiques, en particulier dans le cas de condamnation
d’un parent pour homicide ; quelle serait la possibilité de suspendre
l’autorité parentale ? Pourrait-on faire entrer dans les mœurs de la
justice, la possibilité de suspendre l’autorité parentale du condamné, et suspendre
le droit de visite, ce qui n’est pas forcément le cas actuellement. Comment garantir
la liberté individuelle sans nuire à d’autres personnes de l’entourage ?
On
ne peut jamais brandir le droit comme un étendard. C’est toujours la recherche
d’un mieux vivre ensemble.
Des questions de société demeurent
Comme
juge des libertés, le maintien des étrangers en détention fait apparaitre des
vrais dilemmes, mais il est parfois difficile de faire autrement.
Par
ailleurs, certaines polémiques sont violentes. Notamment, autour de la laïcité, « quand je vois une jeune femme voilée empêchée d’accompagner une
sortie scolaire. Cela a un effet dévalorisant. Il est important de penser aux
enfants et à leur ressenti de l’exclusion de leur mère, se resituer par rapport
à la personne humaine. »
« Le
blasphème ne doit pas exister dans une société laïque. Pour autant, avec la
diversité culturelle, je ne peux blasphémer parce que je respecte ceux que
je connais ».
La conscience de l’autre peut nous responsabiliser.
Nous sommes tous responsables de tous et devant les autres.