Auteur/autrice : Fondation abritée Après-Tout

Une note de lecture sur le dernier livre de Cynthia Fleury

Recension rédigée par Alain Chalochet

Cynthia Fleury, Le soin est un humanisme, Gallimard, 2019, 70 pages, 3,90 euros.

Cynthia Fleury, est philosophe et psychanalyste. Professeur titulaire de la Chaire « Humanités et Santé » au Conservatoire national des arts et métiers, et professeur associé à l’École nationale supérieure des mines de Paris. En 2016, elle a fondé la chaire de philosophie à l’hôpital, au GHU Hotel Dieu de Paris et Sainte-Anne. Elle a exercé dans la cellule d’urgence médico-psychologique du SAMU de Paris. Elle est membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), et siège aussi au comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies.

Cynthia Fleury a notamment publié La Fin du courage : la reconquête d’une vertu démocratique (2010), Les Irremplaçables (2015) et Dialoguer avec l’Orient : retour à la Renaissance (2016).

On est surpris de commencer la lecture par la description de groupes de Gilets jaunes sur des ronds-points, et une citation de Marx ; mais c’est pour nous rappeler que « du souci de soi au souci de l’Etat de droit, tel est le chemin éternel de l’humanisme » et que « quand la civilisation n’est pas soin elle n’est rien ». 

Pour l’auteure, « le soin est le propre de l’homme ». Encore une surprise, c’est à partir de la formule de Jean-Paul Sartre, « l’existentialisme est un humanisme », que la démonstration commence. Pour lui, l’homme existe d’abord, se rencontre et se définit ensuite, et au final « il n’est rien d’autre que ce qu’il se fait ». Il est responsable de lui-même, mais aussi de tous les hommes, et notre humanité engage l’humanité entière. L’homme érige son humanité en façonnant le monde. Il y a là un véritable engagement éthique de l’homme, et prendre soin de quelqu’un c’est l’emmener vers son autonomie.

C. Fleury montre comme la vulnérabilité est liée à l’autonomie, et elle plaide pour sa reconnaissance en tant que telle, de manière positive et utile. L’objectif doit être de mettre en place des manières d’être  « aptes à faire face à la fragilité pour ne pas la renforcer, voire pour la préserver, au sens où cette fragilité peut être affaire de rareté, de beauté, de sensibilité extrême ».

L’idée forte est celle d’irremplaçabilité des personnes, développée dans un autre livre par l’auteure. Elles sont irremplaçables parce que chacune d’entre elles est exceptionnelle, et que si l’individualisme contemporain entraine bien des conséquences néfastes, la reconnaissance de tout individu en tant qu’être particulier, avec la liberté qu’il porte et avec son engagement sont nécessaires à la démocratie.

Il y a là une nécessité pour faire face aux pressions actuelles de la rationalisation économique, de la technologie, qui, pour C. Fleury,  sont – dans le cas de l’hôpital – à la source de la crise vécue aussi bien par les soignants que par les soignés.

Pour cela, et pour rester humain, il faut donc oser penser, dans ce domaine de notre vie comme dans d’autres.

Mais attention : penser c’est bien sûr penser soi-même, mais ça ne prend toute sa valeur que quand c’est fait en se confrontant aux autres.

C’est bien le but recherché dans le lien entre humanités et santé, que porte le titre de la chaire de C. Fleury. Et pour l’auteure, c’est tout l’intérêt assigné à un lieu tel que cette chaire, ainsi qu’à d’autres éventuellement de formes différentes. Le recours aux diverses disciplines des humanités doit permettre d’aider les patients à « développer une puissance d’invention de nouvelles normes de vie, qui ne sera pas le retour à l’état antérieur » à la maladie. Avec le regret que cette dimension capitale ne soit pas plus présente du fait de la faible place faite aux humanités dans la formation des soignants.

Pourtant, le soin à l’hôpital ne doit pas être une chose donnée à des malades par des soignants qui savent ; il ne peut l’être que dans le cadre d’un partage dans une alliance dialectique avec le patient au centre. Bien des évolutions ne sont pas favorables à une telle prise en compte des individus et de leur expression : C. Fleury cite là l’état de droit de manière générale, la maladie certainement, la part croissante de la technique aussi.

Mais, fait encourageant à constater, le développement ces dernières années de l’éducation thérapeutique qui suppose une réflexion partagée, ou le rôle du patient-expert.

Justement, C. Fleury accorde une mention particulière à la maladie chronique et à son traitement. En effet, la médecine permet souvent aujourd’hui au patient de conserver la vie, mais avec un suivi à long terme, et si « la maladie n’a pas basculé du côté de la mort mais du côté de la vie », le patient doit vivre avec un mal, « et un mal qui vit ».

Ceci la conduit à demander que les professionnels du soin, notamment médecins, gardent en mémoire « qu’il n’y a pas de maladies mais seulement des sujets qui tombent malades ». Une exhortation dont on mesure l’importance avec la spécialisation qu’on rencontre dans des services hospitaliers universitaires, qui peut conduire justement à s’intéresser plus à la maladie qu’au malade.

Le développement des traitements en mode ambulatoire, recommandé aux hôpitaux pour des motifs budgétaires, et souvent pour répondre au désir des malades, vient encore renforcer la nécessité de mettre le patient en condition de jouer dans ce traitement un rôle actif, d’agent, d’acteur du traitement.

Comme dans la 2ème partie du siècle dernier, les grands rénovateurs de la psychiatrie française, C. Fleury recommande de se poser la question de savoir si le fonctionnement des institutions sanitaires et sociales est compatible avec l’instauration d’une éthique des soins. Pas comme une mise en accusation délibérée, mais comme le souhait qu’elles aussi s’interrogent dans divers domaines de la gestion des personnels, des soignants en formation (dont on sait qu’ils rencontrent souvent des difficultés), des pratiques en place, afin qu’elles ne favorisent en rien une maltraitance des personnes soignées. Ces remarques font totalement écho aux recommandations actuelles, notamment de la Haute Autorité de Santé, inspirée du principe selon lequel seule une réelle qualité de vie au travail des personnels est de nature à permettre une bonne qualité de prise en charge du patient. 

C. Fleury termine comme elle a commencé, en élargissant le regard sur une société démocratique dans laquelle tous auraient la volonté de maintenir une réflexion, avec un objectif final : « rendre le monde habitable, vivable pour l’humanisme », « élaborer une qualité de présence au monde, au vivant, à la nature, au sens où elle est inséparable – cette nature – de notre condition d’homme. »

On ne peut terminer sans mentionner le court ajout final, intitulé « Les femmes désenfantées » que C. Fleury adresse aux femmes comme celles qu’elle accompagne dans son activité, les femmes qui ont perdu un enfant, ou n’ont pas pu l’avoir, celles « qui n’ont pas d’autre enfant que celui qui est mort ». Les mots de tendresse qu’elle leur adresse là sont particulièrement touchants. Mais au-delà, elle tient à leur dire comme elles peuvent, elles, pourtant vulnérables, apprendre aux professionnels qu’elles rencontrent, en montrant « comme il faut prendre conscience du don du présent » et « ne pas vaciller dans la douleur définitive ». Une preuve de « l’alliance dialectique » citée plus haut certainement….

Neuf UHSA sont opérationnelle en France depuis mars 2018

Note rédigée par Vincent Feroldi

Début 2016, sept Unités hospitalières spécialement aménagées (Lyon-Bron, Toulouse, Nancy-Laxou, Fleury-les-Aubrais, Villejuif, Lille-Seclin et Rennes) fonctionnaient en France. Il a fallu attendre le 18 juillet 2016 pour voir s’ouvrir à Cadillac, en Gironde, la huitième unité comme le montre un reportage de France Bleu Gironde.

Le neuvième a ouvert à Marseille en 2018. Les travaux se sont achevés en mars 2017 pour un montant total de 12.693.000 € HT. Son inauguration a été retardée par suite d’un mouvement des gardiens de prisons de janvier 2018 et  une grève des internes en psychiatrie.

L’UHSA de l’AP-HM a en effet accueilli son premier patient le 6 février 2018, prenant en charge des personnes incarcérées en PACA Corse et nécessitant des soins psychiatriques en hospitalisation complète.

L’UHSA a été bâtie sur le site du Centre Hospitalier Edouard Toulouse. Sa construction et son exploitation sont assurées par l’AP-HM. Elle est rattachée à l’Hôpital Nord tout comme l’UHSI (Unité Hospitalière Sécurisée de Interrégionale destinée à l’hospitalisation somatique des personnes détenues).

Au total, 17 UHSA devraient être créées en France pour une capacité totale de 705 places. L’UHSA de l’AP-HM fait partie des 9 UHSA de la première tranche (soit 440 places).

Sur la base du schéma national, l’UHSA est composée de 60 lits répartis en 3 unités de 20 lits pour l’hospitalisation psychiatrique des personnes détenues des régions PACA et Corse (17 établissements pénitentiaires, départements 13, 83, 84, 04, 05, 06, Corse). A ce jour, l’UHSA a ouvert une unité de 20 lits les deux autres unités ouvriront en mai et juin prochains.

2010 : ouverture de la 1ère UHSA à Lyon

Ainsi l’UHSA du centre hospitalier spécialisé Le Vinatier de Bron, près de la ville de Lyon, a été la première d’une série d’unités spécialement aménagées pour la prise en charge psychiatrique des personnes détenues, avec ou sans leur consentement. Ouverte en mai 2010, elle a aujourd’hui une capacité effective de 60 lits.

Elle comporte trois unités de 20 chambres individuelles, chacune de ces unités répondant à des fonctions spécifiques. Les conditions de séjour sont, à bien des égards, excellentes. Les chambres, qui disposent d’une annexe sanitaire intégrée, offrent espace, lumière et aération aux patients. Certains aménagements ont été particulièrement bien pensés : les chambres disposent par exemple d’un panneau mural permettant de personnaliser l’environnement immédiat (photos, affiche, etc.), d’un poste de télévision placé dans un espace anti-dégradation, et de boutons d’appel installés au mur et au lit. Mais les patients, habitués à la vie en détention, expriment trois sources de difficultés :

  • l’interdiction de pouvoir fumer dans les chambres, et la limitation à trois promenades d’1/2h par jour pendant lesquelles ils peuvent fumer ;
  • l’interdiction d’avoir en chambre un lecteur de CD ou de DVD, alors que bien des patients passent en chambre la majorité de leur temps, la porte de la chambre étant fermée à clé ;
  • la possibilité de ne pouvoir acheter que des produits d’hygiène, du tabac et quelques confiseries, alors que beaucoup aimeraient pouvoir « cantiner » boissons gazeuses, laitages, biscuits salés, etc.

La première unité, destinée à l’accueil et à l’observation des patients nécessitant une prise en charge intensive, a été ouverte le 18 mai 2010. La deuxième unité, destinée aux soins individualisés en cas d’épisodes aigus ainsi qu’à l’accueil des personnes nécessitant une protection, a été ouverte le 19 juillet 2010. La dernière unité, destinée à assurer la prise en charge des pathologies de longue évolution et à préparer les personnes détenues à leur sortie, est opérationnelle depuis le 1er décembre 2010.

L’UHSA du centre hospitalier Le Vinatier de Bron a la particularité de regrouper deux types de personnels : le personnel hospitalier chargé des soins et le personnel pénitentiaire chargé de la surveillance. Pour ce qui est du personnel hospitalier, l’équipe médicale couvrant l’ensemble de la zone de soins de l’UHSA (60 lits) est constituée, en plus du médecin-chef, de quatre praticiens hospitaliers (psychiatres), d’un interne et d’un médecin généraliste. L’équipe soignante assure, dans chaque unité d’hospitalisation de 20 lits, une présence de cinq soignants en journée (dont au moins deux infirmiers) et de quatre soignants en période nocturne. La nuit et le week-end, un médecin du Service médico-psychologique régional de la maison d’arrêt de Lyon Corbas est d’astreinte.

Le CPT était préoccupé par le fait que, fin 2010, l’équipe « psychosociale » n’était pas constituée. Cette équipe doit être composée notamment d’un ergothérapeute, d’un éducateur sportif et d’un psychomotricien, ainsi que d’un éducateur spécialisé ; au moment de la visite, il n’y avait que deux psychologues qui travaillaient à temps plein. Début 2012, en raison d’un léger « turn-over », les effectifs sont quasiment au complet à l’UHSA du centre hospitalier Le Vinatier.

L’équipe de surveillance compte aujourd’hui trente-cinq agents qui assurent une présence de sept surveillants, encadrés par un premier surveillant, en journée, et une présence de quatre surveillants, sous la responsabilité d’un premier surveillant, en période nocturne. L’équipe travaille par tranche de 12 heures et compte trois membres de sexe féminin.

Le taux d’occupation de l’UHSA du Vinatier a évolué avec l’ouverture progressive de trois unités, passant de 80 % en moyenne sur l’année 2010 à 83 % au cours du premier semestre 2011. Début 2012, ce pourcentage dépasse régulièrement les 90 %. La durée moyenne de séjour est de 45 jours, et la durée médiane de 27 jours, selon les statistiques établies à partir de la situation des patients ayant quitté l’UHSA au cours du premier semestre 2011.

L’un des objectifs assigné à cette unité est que la majorité des hospitalisations soient réalisées avec le consentement des patients. En 2011, 59 % des hospitalisations ont été effectuées avec leur consentement, contre 52% en 2010. Si l’on observe que le « taux de consentement » à l’admission en soins psychiatriques s’établit à 85 % dans la population générale, et que l’on tient compte par ailleurs des pathologies psychiatriques propres à la population détenue, il n’est pas déraisonnable d’estimer cet objectif est en passe d’être atteint. Seule permettra toutefois de le vérifier avec certitude la montée en charge progressive du programme d’ouverture des autres UHSA.
Selon les termes du projet médical, une large palette de soins institutionnels, basés sur l’expression ou les activités occupationnelles ou artistiques, est proposée :

  • centrage sur le corps avec l’importance de la psychomotricité et d’une réappropriation corporelle par de la balnéothérapie ;
  • travail psychique avec les diverses formes de psychothérapie individuelle ou groupale ;
  • travail de réappropriation des habiletés et de la vie sociale avec l’ergothérapie et par le biais d’activités éducatives (buanderie, activité cuisine…) ;
  • ouverture sur le monde par le biais d’une médiathèque ;
  • plateau sportif varié où les patients peuvent jouer au basket, au volley, au badminton…

L’accès à la cour et au plateau sportif a évolué depuis l’ouverture et, en 2012, la cour-jardin du rez-de-chaussée est utilisée de 9h30 à 16h30. L’accès dure 30 minutes par patient. Quatre patients peuvent y accéder en même temps, sans présence soignante ; au-delà, ils sont accompagnés par des soignants. La cour-jardin de l’unité du rez-de-chaussée est en accès libre. Le plateau sportif est utilisé de manière fixe ou aléatoire par chacune des unités, en présence d’un moniteur sportif. Six patients accompagnés de soignants peuvent s’y trouver de manière concomitante.

De la sécurité

Aux membres du CPT qui s’étonnaient de la présence de barreaux aux fenêtres des chambres des patients et qui estimaient que les fenêtres des chambres des patients des UHSA ne devraient pas être équipées de tels barreaux, et ce afin de faire prévaloir une logique de soins plutôt qu’une logique pénale, soulignant que d’autres dispositifs de sécurité permettaient une protection équivalente, le gouvernement français a répondu : « Le cahier des charges techniques du 11 octobre 2006, validé par les administrations hospitalière et pénitentiaire, a prévu le « barreaudage » des fenêtres extérieures de l’UHSA. S’il apparaît difficile, au moins à brève échéance, de remettre en cause ces aménagements répondant à des considérations de sécurité, il n’en demeure pas moins que la logique de soins prévaut de façon incontestable à l’UHSA, et cela sans que la seule présence de barreaux puisse suffire à remettre en cause ce constat ».

Quant à la possibilité d’installer des caméras de vidéosurveillance dans des chambres ou locaux de soins mentionnée dans la circulaire interministérielle relative au fonctionnement des UHSA – et dans ce cas, cette surveillance est obligatoirement exercée par du personnel infirmier-, il est bon de savoir qu’à ce jour (printemps 2012), aucune caméra n’a été installée dans les chambres de l’UHSA du centre hospitalier Le Vinatier, non plus que dans aucune autre des UHSA construites dans le cadre du programme de développement de ces unités. De fait, il n’existe pas de raison pour que de tels équipements soient installés dans les chambres ordinaires. On ne peut exclure cependant qu’une caméra puisse être ponctuellement installée dans une chambre pour prévenir la survenance d’incidents, par exemple dans le cas d’un patient présentant un fort risque « d’auto-agressivité ».

Le développement des UHSA

La première tranche de ce programme, prévue initialement pour s’étaler jusqu’en 2014, aboutira en 2017 (si tout va bien) à la création de 440 places d’hospitalisation en UHSA, réparties de façon équilibrée sur le territoire, en fonction de l’arrêté du 20 juillet 2010 du ressort territorial des UHSA.

Sur le modèle de l’UHSA de Lyon-Le Vinatier, qui compte 60 places, deux nouvelles unités de 40 places ont ouvert au début de l’année 2012 à Toulouse (janvier) et Nancy (mars). Une autre de 40 places s’est ouvert près d’Orléans en mars 2013. S’y ont ajouté, au cours du premier semestre 2013, deux autres UHSA d’une capacité de 60 places chacune : dans la région francilienne et à Lille. En septembre 2013 a été ouvert l’une unité de 40 places à Rennes  : elle est installée au CHS Guillaume-Régnier. Le 18 juillet 2016, a ouvert l’UHSA de Cadillac, en Gironde ; près de 120 personnes assureront la prise en charge des 40 patients, répartis en deux unités de 20 lits chacune, nommées « Épernon » et « Figaro ». Enfin, s’est ouvert à la veille du printemps 2018 l’UHSA de Marseille (60 places).

A l’occasion du deuxième anniversaire de l’ouverture du premier UHSA en France et de la publication du Rapport 2012 sur la France du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe et de la réponse du gouvernement français à ce rapport, l’opinion publique a pu prendre connaissance de ce qu’est une UHSA (Unité hospitalière spécialement aménagée) et quel développement est prévu en France pour ce type de structure.

La seconde tranche de construction devrait quant à elle permettre la création de 265 places supplémentaires, correspondant à neuf unités dont l’implantation et la capacité doivent encore faire l’objet d’études pour tenir compte du programme immobilier de la direction de l’administration pénitentiaire, actuellement en cours de révision.

Le projet de loi de finances pour l’année 2013 a permis d’avoir des informations sur les futures ouvertures : Les structures de soins dédiées aux personnes détenues : quel bilan ?

La Commission des affaires sociales du Sénat présente son rapport sur les UHSA opérationnelles en juillet 2017

Le 5 juillet 2017, la Commission des affaires sociales du Sénat a présenté un rapport d’information sur les UHSA car elle estime que ces unités sont un dispositif très spécifique destiné à apporter une réponse à un problème grave : la prise en charge psychiatrique des personnes détenues. Ce rapport loue le travail accompli et les qualités professionnelles des équipes soignantes et de celles de l’administration pénitentiaire qui permettent donc aux UHSA d’assurer les missions qui leur ont été confiées. Elle constate que la première vague de construction des UHSA s’est avérée particulièrement lente et la deuxième vague n’a pas été engagée.
En effet, le programme aurait dû s’étaler entre 2008 et 2011, mais sur les neuf unités de la première tranche, qui comporte 440 lits, trois unités ont ouvert entre 2010 et 2012, quatre seulement en 2013 et une en 2015. Celle de Marseille vient tout juste d’ouvrir.
La deuxième vague devrait apporter 300 places supplémentaires et voir notamment la création de trois établissements dans les outre-mer.

« Faut-il l’engager ? » se demandent les trois rapporteurs. Ils répondent que  » oui, nous le pensons toutes les trois, mais sous certaines conditions : poursuivre le travail de coordination entre les UHSA pour permettre d’identifier leurs problèmes communs et de définir les meilleures pratiques, prévoir de présenter les missions et le fonctionnement des UHSA aux magistrats dès leur formation et organiser des contacts plus fréquents entre eux et les équipes des UHSA afin qu’ils connaissent leur rôle exact ».

Le texte complet du rapport de la Commission des affaires sociales du Sénat est disponible. Pour le lire, cliquez ici.

Plusieurs rapports de visite des UHSA ont été publiés par le CGLPL

Depuis l’ouverture de la première UHSA à Lyon, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et ses équipes ont visité une fois certains UHSA et même parfois deux fois : Lyon, Seclin, Villejuif.

Les rapports de ces visites permettent de percevoir ce qu’est la vie dans de telles unités de soin et comment se conjuguent la prise en compte des patients et les contraintes liées à un emprisonnement.

Voici la liste exhaustive de ces rapports au 20 février 2020 à consulter en ligne en cliquant sur le titre :

* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée de Marseille (Bouches-du-Rhône) (Visite du 3 au 7 septembre 2018)
* Rapport de la deuxième visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Seclin (Nord) (Visite du 7 au 10 mars 2016)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Seclin (Nord) (Visite du 12 au 15 mai 2014)
* Rapport de la deuxième visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon (Rhône) (Visite du 8 au 11 février 2016)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Lyon (Rhône) (Visite du 24 au 27 avril 2011)
* Rapport de la deuxième visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Villejuif (Val-de-Marne) (Visite du 25 au 26 janvier 2016)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Villejuif (Val-de-Marne) (Visite du 14 au 17 avril 2014)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Rennes (Ille-et-Vilaine) (Visite du 1er au 4 décembre 2014)
Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) d’Orléans (Loiret) (Visite du 13 au 16 mai 2013)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Nancy (Meurthe-et-Moselle) (Visite du 12 au 15 mars 2013)
* Rapport de visite de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Toulouse (Haute-Garonne) (Visite du 9 au 13 décembre 2013)

Pour aller plus loin

Sources : Ministère de la justice, CGLPL et  Site du CPT

L’état de santé des Français

Note rédigée par Alain Chalochet

Publié chaque année, ce rapport conjugue les approches transversales par population, déterminant et pathologie, pour illustrer l’état de santé des Français. Il met aussi en vue les principaux problèmes de santé auxquels les politiques publiques doivent répondre.
La santé est un concept complexe, qu’on n’approche pas par une seule mesure. La large définition qu’en donne l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » fait appel au ressenti des personnes et trace un idéal à atteindre pour les politiques de santé publique. Pour caractériser l’état de santé d’une population, il faut donc décliner tout ceci en composantes aussi objectivables que possible.

Les Français sont globalement en bonne santé par rapport aux pays de niveau de richesse similaire, et à plus forte raison en regard de la population mondiale.

Une espérance de vie élevée mais dont l’augmentation ralentit

Les Français ont une espérance de vie élevée, 85 ans pour les femmes en 2015, parmi les plus fortes d’Europe, et 78,9 ans pour les hommes, dans la moyenne. En dix ans, l’espérance de vie des femmes a progressé de 1,2 an et celle des hommes de 2,2 ans.
Cependant, cette augmentation tend à se réduire maintenant et l’écart entre les deux sexes aussi, comme dans quasiment tous les pays européens. L’espérance de vie a d’ailleurs diminué entre 2014 et 2015, de 0,4 an pour les femmes et 0,3 an pour les hommes. Cette baisse serait surtout conjoncturelle, liée à la forte augmentation de la mortalité des personnes âgées au cours de l’épisode grippal particulièrement fort de l’hiver. C’est la première fois qu’une baisse annuelle de cette ampleur est constatée depuis l’après-guerre. Elle est plus forte que celles de 2003, 2005, 2008 et 2012, toutes en lien avec l’augmentation du nombre de personnes très âgées et fragiles, sensibles aux épisodes météorologiques extrêmes, canicules, ou épidémies de grippe.
Ne pas oublier toutefois la part des raisons structurelles comme la persistance ou l’accroissement des facteurs de risque de maladies chroniques (consommation de tabac, progrès de l’obésité).

La mortalité diminue, y compris la mortalité prématurée (avant 65 ans)

La réduction très notable de la mortalité toutes causes confondues se poursuit : baisse des taux de mortalité entre 2000 et 2014, de 14,7 décès à 11,4 pour 1 000 chez les hommes et de 8,4 à 6,7 chez les femmes. Cette baisse concerne toutes les classes d’âges. Pour 2014, ces taux sont inférieurs aux taux moyens de l’Europe des 28.
On relève depuis plus de 15 ans une évolution à la baisse de la mortalité prématurée (celle qui a lieu avant 65 ans), et au sein de cette mortalité prématurée, de la mortalité évitable liée aux comportements à risque (tabagisme, consommation d’alcool, conduite routière dangereuse…). Baisse plus marquée chez les hommes, toujours plus concernés que les femmes : diminution entre 2000 et 2013 de 22,9 % chez les hommes, de 15,1 % chez les femmes.
La réduction de la mortalité concerne la plupart des maladies chroniques : entre 1980 et 2012, la mortalité tous cancers (première cause de mortalité) a baissé de 1,5 % en moyenne par an chez les hommes (où elle est toujours la plus élevée) et de 1,0 % chez les femmes. La survie à la plupart des cancers, qui témoigne d’une amélioration de la prise en charge et des traitements, a également nettement progressé.
Mêmes constats pour les maladies cardio-vasculaires. Une diminution est observée pour les deux sexes, chez les moins de 65 ans comme chez les 65 ans et plus.
Des exceptions pourtant : la mortalité par cancer du poumon et la mortalité liée à la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) ont augmenté chez les femmes, en relation avec une consommation de tabac qui, chez elles, n’a guère fléchi.
Pour ce qui concerne le suicide, son taux de mortalité standardisé sur l’âge a globalement diminué de 22 % entre 2000 et 2013.

Pour lire la suite de l’article, cliquez ici

Article rédigé d’après : « L’état de la population en France », Rapport 2017, DREES

Au 1er janvier 2020 : 70.651 personnes incarcérées en France

Noté rédigée par Vincent Feroldi

Le nombre de détenus dans les prisons françaises est en baisse par rapport au chiffre d’octobre 2019 (70.818) mais en augmentation par rapport au 1er janvier 2019 (70.059), avec 71.061 personnes incarcérées, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire publiés le 31 janvier 2020. Ainsi, 82.860 personnes étaient placées sous écrou, dont 12.209 sous surveillance électronique ou à l’extérieur.

Le nombre très symbolique de 70.000 détenus dans les 187 établissements pénitentiaires de France (départements et territoires ultramarins compris) avait, lui, été atteint en avril. Avec plus de 70.000 détenus pour 61.080 places opérationnelles, la densité carcérale s’établit désormais à 115,7 % dans les prisons françaises, qui souffrent d’une surpopulation chronique, contre 116,5 % un an plus tôt.

Cette augmentation s’explique surtout par une forte hausse du nombre de personnes prévenues en détention ; elles représentent aujourd’hui 29,8% des personnes détenues.

Le nombre de personnes écrouées non détenues est en augmentation de 9,1% par rapport au 1er janvier 2019. Il y a une petite hausse du nombre de placements sous surveillance électronique (11.558) mais on est en dessous du chiffre de juillet 2019 : 11.615. Quant aux personnes en placement extérieur non hébergés, elles sont 651.

Pour finir, depuis le record de 894 mineurs détenus en juillet 2019, la baisse du nombre de mineurs écroués se poursuit avec 816 mineurs.

La densité carcérale, à 115,7 %, reste stable sur l’ensemble des Directions Interrégionales et des établissements.

Pour avoir l’ensemble des données chiffrées, rendez-vous sur le site du Ministère de la Justice en cliquant ici.

La mesure mensuelle de l’incarcération au 1er octobre 2018 est accessible ici.

« La force de la loi, l’humanité du juge » Isabelle Rome

Conférence débat – 31 janvier 2020Lyon

Isabelle ROME, magistrate, haute fonctionnaire à l’égalité Femmes-Hommes au Ministère de la Justice, et auteure

Le vendredi 31 janvier au Novotel de Bron, environ soixante-dix personnes étaient présentes avec Isabelle ROME, qui proposait un exposé autour du thème « La force de la loi, l’humanité du juge ».

Un parler vrai, un exposé brillant et plein d’humanité, où les questions de fond se mêlaient aux questions d’actualité, a permis de percevoir les enjeux éthiques et humains que tout acte de jugement implique. Voici un écho de cet exposé.

La loi nous protège

Elle protège la société mais il reste au juge à l’interpréter en fonction des faits et des personnes. L’appréciation des faits se fait aussi en tenant compte de la personnalité du justiciable. La loi pénale doit être appliquée à la lettre, mais il est nécessaire d’avoir tous les éléments (caractère du délit, preuves de la responsabilité, de l’intentionnalité) pour juger. Si un élément n’est pas présent, le juge a nécessité de le faire exister par les questions qu’il va poser.

Quand le justiciable est dans une dénégation, c’est difficile à entendre et difficile à juger. Dans ce cas, il est encore plus nécessaire de garder en tête les grands principes fondamentaux et les critères donnés par le code de procédure pénale.

Pour les personnes récidivistes, il est important de regarder aussi comment ne pas attenter à leur liberté pour que la sanction soit proportionnée à l’acte commis, cela veut dire tenir compte des actes antérieurs, du temps déjà passé en prison, et de la gravité de l’acte à juger.

Pour un juge, c’est rassurant, de pouvoir se dire qu’on a interprété la loi le mieux possible. Et là, c’est tout l’intérêt de l’écriture de la motivation de la décision, devenue aujourd’hui obligatoire. On peut penser qu’on s’est trompé, mais se dire « J’ai appliqué la loi à la lettre, j’ai laissé le moins possible la place à mon arbitraire » ; cela donne une meilleure conscience.

Quelques points concrets d’actualité

On parle beaucoup de « féminicide », à la lettre, c’est tuer une femme parce que c’est une femme. Dans le meurtre d’une femme par son conjoint : ce qui est mis en cause c’est le lien conjugal ; l’homicide sur conjoint, ça existe dans la loi et il est requis de façon générale une condamnation à perpétuité.

Si on créait une loi « spécifique » pour les féminicides, ça voudrait dire que dans une cour d’assises, il faudrait répondre, non seulement aux questions sur les circonstances du meurtre, la personnalité de l’accusé, mais aussi à la question « est-ce que la mort a été donnée parce que c’est une femme ? » et là ça devient impossible à évaluer – créer une loi pour les féminicides, c’est sans doute une fausse bonne idée.

Dans la justice, il y a eu aussi des avancées dans une compréhension psychologique. Les juristes ont mis plus de temps à prendre conscience des mécanismes qui se jouent chez les femmes victimes, notamment concernant l’emprise, la domination et les dépendances affectives. Avant, on considérait les femmes comme ambivalentes, alors qu’aujourd’hui, on sait que ça fait partie de ce processus du fait d’être victime. Maintenant, la prise de conscience que ce n’est pas normal de faire violence, voire de tuer une femme et encore moins de se faire agresser est beaucoup plus présente. La formation des magistrats est nécessaire, sans doute aussi pour faire entrer les termes dans la loi et le code pénal.

Un autre point qui fait actuellement débat : «la possibilité pour le soignant de déroger au secret médical ». Pourquoi ? 

Il y a un constat : un certain nombre de femmes meurent, alors qu’elles avaient consulté plusieurs fois mais aucun signalement n’avait été fait. Face à cela la Justice s’est remise en cause, et il a été demandé à l’Inspection générale de la Justice de mener une enquête approfondie.

Sur soixante homicides ayant été jugés, six victimes avaient un cheminement médical avant le coup fatal. Les soignants peuvent porter les faits devant la justice, s’ils considèrent qu’il y a un danger vital immédiat et que la victime est sous emprise. Cette notion d’emprise est encore à décrire.

Une posture éthique

Le Juge ne peut s’exprimer sur les affaires qu’il a jugées et sur ses motivations, du moins au-delà de la motivation écrite de sa décision. Il ne peut pas commenter une décision de justice dans les medias même en réponse à des attaques.

Au cours du procès, la motivation qu’il va mettre en avant devant la cour et l’accusé est déterminante et va permettre la mise en œuvre du principe contradictoire.  C’est lui qui va ouvrir au débat, il y a donc une vraie éthique de la motivation. Cela implique que ce qui est présenté soit lisible et compréhensible, par tous, les jurés, les avocats, les accusés, les plaignants, et les gens dans la salle. Il ne doit blesser aucune des deux parties et ne pas hypothéquer l’avenir des justiciables par des commentaires inutiles.

L’application de la loi, c’est aussi une manière d’être à l’autre. C’est toujours un humain en face d’un humain, et on ne peut l’oublier. La loi est toujours au service de l’humanité et de la société, c’est un outil de paix sociale. Le juge doit toujours regarder la personne accusée en face au moment de l’énoncé de la sentence, et aussi la société. Isabelle Rome dit être portée par la philosophie d’Emmanuel Levinas : l’expérience d’autrui prend la forme du visage. Envisager l’autre dans sa singularité, sans oublier que chaque être s’inscrit dans un espace social. D’autres philosophes nourrissent aussi sa réflexion, notamment J.J. Rousseau : « De toutes les vertus, la justice est celle qui contribue le plus au bien commun des hommes. » et Pascal : « La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. »

La loi est un outil au service d’un mieux vivre ensemble au service de l’humanité

On a fait évoluer l’émancipation des femmes depuis l’après-guerre. Parfois, la loi booste l’évolution des mœurs. Par exemple, la parité en politique et dans les conseils d’administration. Ce qu’on entend : « On privilégie les femmes et pas la compétence », ou bien : « On n’en trouve pas, pas de disponibles… ». Cependant, on constate qu’il y a 40 pour cent de femmes actuellement à l’assemblée, en 1997, il y en avait seulement 12 pour cent.

D’autres exemples interrogent aussi les pratiques, en particulier dans le cas de condamnation d’un parent pour homicide ; quelle serait la possibilité de suspendre l’autorité parentale ? Pourrait-on faire entrer dans les mœurs de la justice, la possibilité de suspendre l’autorité parentale du condamné, et suspendre le droit de visite, ce qui n’est pas forcément le cas actuellement. Comment garantir la liberté individuelle sans nuire à d’autres personnes de l’entourage ?

On ne peut jamais brandir le droit comme un étendard. C’est toujours la recherche d’un mieux vivre ensemble.

Des questions de société demeurent

Comme juge des libertés, le maintien des étrangers en détention fait apparaitre des vrais dilemmes, mais il est parfois difficile de faire autrement.

Par ailleurs, certaines polémiques sont violentes. Notamment, autour de la laïcité, « quand je vois une jeune femme voilée empêchée d’accompagner une sortie scolaire. Cela a un effet dévalorisant. Il est important de penser aux enfants et à leur ressenti de l’exclusion de leur mère, se resituer par rapport à la personne humaine. »

« Le blasphème ne doit pas exister dans une société laïque. Pour autant, avec la diversité culturelle, je ne peux blasphémer parce que je respecte ceux que je connais ».

La conscience de l’autre peut nous responsabiliser.

Nous sommes tous responsables de tous et devant les autres.

La réinsertion des personnes détenues : l’affaire de tous et toutes

Note élaborée par Alain Chalochet

Saisi par le Premier ministre sur la question de la réinsertion des personnes détenues, le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) a élaboré un rapport qui fait suite à un avis qu’il avait émis en 2006, dans lequel il s’inquiétait de retards pris dans la concrétisation de l’objectif de réinsertion.

Dans ce récent rapport, le CESE relève des points favorables intervenus depuis : la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la consécration de la mission de réinsertion confiée aux Services pénitentiaires d’insertion et probation (SPIP), le renforcement de l’individualisation des peines.

Mais, il relève que le nombre de personnes détenues continue à s’accroitre, sans lien avec l’évolution de la délinquance. Les personnes détenues sont aujourd’hui près de 71 000. Plus de 20 000 vivent dans une structure pénitentiaire (sur)occupée à plus de 150%. Dans les maisons d’arrêt, le taux d’occupation moyen dépasse 138%. Dans ce contexte, la priorité de l’administration pénitentiaire, à savoir la sécurité passe avant la préparation de la réinsertion.

Le CESE met en exergue des points dont il regrette l’insuffisante connaissance par le public :

– La détention ne contribue pas à la réduction de la délinquance et de la récidive

– Son coût est bien plus élevé que celui des alternatives à la détention, qui sont insuffisamment utilisées, comme les aménagements de peine

– Les populations jeunes, défavorisées, précaires, en mauvaise santé sont surreprésentées dans les prisons

– La détention les prive souvent de leurs droits, de leur capacité d’exercer un emploi et d’assumer leurs responsabilités, et elle accentue leur précarité

– Elle désocialise, déresponsabilise, conduit plus à la désinsertion qu’à la réinsertion

Tout ceci conduit le CESE à souhaiter des changements en profondeur.

Vous trouverez d’abord, un état des lieux de la détention et des autres mesures de justice, états des lieux sur lequel le CESE se fonde pour établir ensuite ses propositions. Ensuite, ce sont les préconisations du CESE qui seront présentés telles qu’il les a lui-même formulées.

La représentation des Français sur la prison

Article proposé par Alain Chalochet

Les Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques ont publié une nouvelle étude des représentations des Français sur la prison. L’objectif était de mettre à jour la perception par la population d’une institution qui peut apparaître opaque depuis l’extérieur, et de chercher à en appréhender les caractéristiques socio-démographiques.

Synthèse établie à partir des Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques n° 49 Septembre 2019 Direction de l’administration pénitentiaire
Document intégral

Méthodologie

L’enquête de 2018 sur les représentations des Français de la prison est la 4ème édition d’une étude lancée par le Genepi en 1995, entièrement reprise par le bureau des statistiques et des études de la Direction de l’Administration Pénitentiaire depuis 2007, avec la sous-direction des statistiques et des études du ministère de la Justice. Il s’agit d’un questionnaire visant les personnes majeures résidant en France métropolitaine, pratiqué de façon aléatoire par téléphone en mai et juin 2018. Conduit par l’institut Ipsos auprès de 3002 personnes. Les thématiques : les représentations des Français des personnes en prison (personnes détenues et personnels de surveillance), les conditions de vie en prison, la justice pénale et les évolutions souhaitées.

Une représentation assez réaliste des caractéristiques socio-démographiques des personnes détenues

Les Français se représentent une population détenue comme une population jeune, principalement masculine, avec une part importante de personnes étrangères et sans emploi. Ils évoquent avant tout des personnes détenues pour des infractions relatives aux biens et aux stupéfiants.

Une population détenue jeune : pour 70% des personnes interrogées, la majorité des détenus a moins de 30 ans, ce qui est en fait le cas de 43 % des détenus au 1er octobre 2018.

Les femmes sont vues à juste titre comme minoritaires en détention. La part des femmes écrouées, en fait 4% au 1er octobre 2018, est toutefois surestimée puisqu’une grande majorité des répondants pensent qu’il y a près d’un tiers de femmes en détention, et que seulement 2% pensent qu’elles représentent moins de 5% des personnes détenues. A  noter que les femmes questionnées imaginent une part plus élevée de femmes en détention que les hommes.

Les personnes interrogées surestiment la part des étrangers dans la population des personnes détenues et ceci d’autant plus que leur niveau d’études est faible. En effet, alors que la part d’étrangers parmi les détenus est de 23% au 1er octobre 2018, 60% des personnes interrogées pensent que c’est plus d’un cinquième des personnes détenues qui sont de nationalité étrangère, et pour 20% ce serait même plus de la moitié des détenus. Ceux qui ont un niveau de diplôme moindre surestiment la proportion de personnes étrangères en prison : ceux qui n’ont pas le baccalauréat (29%) sont deux fois plus nombreux que les BAC+3 et plus (14%) à penser qu’il y a une majorité d’étrangers dans les prisons.

Des personnes détenues qui inspirent la crainte

Les personnes interrogées éprouvent une certaine crainte à l’égard de la population détenue. Quant aux appréhensions qu’ils auraient s’ils venaient à être incarcérés, les violences physiques ou psychologiques des codétenus, l’insécurité, le racket, reviennent dans 30 % des réponses données. C’est donc le fait de côtoyer d’autres personnes détenues qui est le plus craint par les personnes interrogées, plus encore que la condition de personne détenue et la privation de liberté.

De la considération et peu de défiance pour les personnels de surveillance

Bien que l’exercice professionnel du surveillant soit parfois méconnu dans ses réalités quotidiennes, la perception globale qu’en ont les personnes interrogées est homogène : il s’agit d’un métier aux conditions de travail difficiles, qui inspire de la considération.

Quant aux craintes qu’ils auraient à être incarcérés, les Français ne citent les surveillants que pour 2% comme objet de ces craintes.

Pour 9 sur 10 des interrogés, ce métier est un métier de relation humaine, d’ordre et de sécurité, et elles ne souhaitent pas le voir privatisé.

Pour autant, seuls 9% des enquêtés aimeraient effectuer ce travail. 95% le considèrent comme étant dangereux, et quasiment autant déplorent son manque de reconnaissance et de trop faibles effectifs.

Des conditions de détention perçues comme difficiles

Les représentations des conditions de détention regroupent la façon dont les personnes interrogées se représentent les biens auxquels ont accès les personnes détenues, dont ils perçoivent l’occupation des cellules ou encore dont ils envisagent les droits des détenus.

  • Une représentation parcellaire de l’accès aux biens en détention

Les personnes interrogées savent qu’il existe des biens gratuits et des biens payants en prison. Ils ont toutefois tendance à surestimer le champ des biens gratuits et à sous-estimer celui des biens payants.

Par exemple, la gratuité du téléphone fixe est particulièrement surestimée : plus de 40 % des personnes interrogées pensent que les détenus y ont accès sans payer ce qui est faux.

  • Des représentations marquées par la surpopulation et le manque d’intimité

La grande majorité des Français se représentent en effet des prisons sur-occupées. Pour 87 % d’entre eux, la plupart des prisons françaises accueillent plus de personnes détenues qu’elles n’ont de places et 33 % pensent que c’est le cas pour toutes les prisons. La surpopulation est d’ailleurs le premier sujet concernant les prisons françaises cité comme le plus marquant.

Le manque d’intimité du fait de la surpopulation est aussi la troisième crainte de l’incarcération la plus donnée. L’idée d’un lieu sans intimité est d’ailleurs partagée par les deux tiers des personnes interrogées qui se représentent par exemple des toilettes rarement, voire jamais cloisonnés à l’intérieur des cellules.

Une vision faussée des droits des détenus

Si les Français interrogés sont conscients du droit des personnes détenues à pratiquer leur religion et  à accéder à l’assurance maladie, ils ont pour le reste une vision assez déformée des droits en détention.  

Une très large majorité de personnes pense à raison que les détenus ont le droit de pratiquer leur religion (93 %) et ont accès à l’assurance maladie (81%). De même, les personnes interrogées sont bien au fait que les personnes détenues n’ont pas le droit de posséder un téléphone portable (86 %).

Les personnes détenues ont d’autres droits, peu connus par les personnes interrogées.

Par exemple, alors que la majorité des personnes détenues a le droit de vote, seulement 37 % des personnes interrogées pensent qu’ils conservent ce droit de voter.

Au contraire, les personnes interrogées peuvent se représenter certains droits en détention auxquels les détenus n’ont pourtant pas accès, tel le droit d’accès à internet.

Une attitude complexe à l’égard du phénomène de la peine d’incarcération

     En premier lieu la  suppression de la prison n’est pas  envisagée…

Les personnes consultées ne remettent que très peu en cause l’existence de la prison (4%). Les rares personnes qui envisagent sa suppression sont plutôt jeunes et diplômés.

Ainsi, parmi les 18-34 ans, 10% des diplômés de niveau bac+3 ou plus sont favorables à la suppression des prisons. Cette opinion radicale sur le devenir de la prison va de pair, chez les plus jeunes, avec la perception accentuée de difficultés inhérentes à l’administration de la prison.

Au-delà, la plupart des personnes interrogées expriment une volonté de durcir l’application des peines. Trois quarts pensent que les personnes condamnées à perpétuité doivent réellement rester en prison à vie. 80% pensent que certaines infractions ne sont pas assez punies, pour seulement 39% qui pensent que des infractions sont trop punies.

Là encore les plus diplômés sont plus tempérés : les partisans de l’application stricte de la peine sont 61% chez les diplômés au moins bac+3, contre 80% chez les non diplômés.

     … mais le développement des peines alternatives est plébiscité

87 % des personnes interrogées sont favorables au développement de mesures permettant d’exécuter une peine hors de la prison, telles le travail d’intérêt général ou le bracelet électronique. Cette volonté est encore une fois plus forte parmi les plus diplômés.

Et ceci n’est pas incompatible avec l’expression d’une volonté de durcissement puisque parmi les partisans de l’application stricte de la peine à perpétuité, 64% sont en même favorables au développement de mesures hors de la prison.

Ces positions sur l’application des peines (application stricte de la perpétuité – alternative à la prison) varient en fonction des types d’infraction. Les actes cités comme n’étant pas assez sévèrement punis sont principalement les actes à caractère sexuel, alors que ceux cités comme étant trop punis sont les vols et les actes de petite délinquance.

Pour aller plus loin

Exposition à Lyon : Prison, au-delà des murs

Jusqu’au 26 juillet 2020

Quelle est la réalité des prisons aujourd’hui ? L’exposition vous propose une réflexion sur notre système pénitentiaire hérité du 18e siècle. Conçue de manière immersive, elle explicite, par le biais de récits d’anciens détenus mais aussi de représentations de notre imaginaire collectif, le paradoxe selon lequel la prison isole l’individu pour le punir et protéger la société, tout en visant à sa réinsertion. Un parcours parallèle vous invite à explorer, par le théâtre, le quotidien des détenus.

Musée des Confluences
86 quai Perrache, 69002 Lyon – France
(+33) 04 28 38 12 12
 
du mardi au vendredi de 11h à 19h
samedi et dimanche de 10h à 19h
jeudi nocturne jusqu’à 22h

Pour en savoir plus sur la justice restaurative

Note de synthèse rédigée par Alain Chalochet

Le pionnier du concept moderne de justice réparatrice est un criminologue américain, Howard Zehr, né en 1944. Il a effectué des études d’histoire d’abord, puis de sociologie close par un doctorat. Professeur de justice restaurative à l’Eastern Mennonite University, il y codirige le programme de transformation des conflits. Il a été directeur du Bureau du Crime et de le Justice au sein d’un organisme humanitaire, le Comité central mennonite américain, ceci de 1977 à 1996. Il a par ailleurs été photographe et reporter en Amérique du Nord et dans différentes régions du monde et a publié à ce titre des ouvrages qui témoignent de son intérêt pour les populations déshéritées et pour les victimes parfois « sans voix et cachées » que sont les enfants et les familles des personnes emprisonnées. Il est aujourd’hui conférencier et a fait connaitre sa doctrine à travers le monde, contribuant largement à la diffuser aux États-Unis d’abord où elle est mise en œuvre dans certains états, au Brésil, au Japon, en Jamaïque, en Irlande du Nord, en Grande-Bretagne, en Ukraine et en Nouvelle-Zélande où elle constitue la base de la justice pour mineurs actuellement. Il a publié de nombreux ouvrages dont l’un en 2002 « The little book of restaurative justice » a été traduit en français et fera l’objet de la présente présentation. Son titre : « La justice restaurative, Pour sortir des impasses de la logique punitive », éditions Labor et Fides, 2012. Ce livre est préfacé par Robert Cario, professeur de criminologie et promoteur de la justice restaurative en France.

Dans ce petit livre d’une centaine de pages, H. Zehr présente les principes de la justice restaurative (terme choisi en France, alors que dans d’autres pays on parle parfois de justice réparatrice) qui, pour lui, permettrait de pallier certaines insuffisances ou imperfections du système pénal en place dans la plupart des pays occidentaux.

Quelles sont ces insuffisances ?

Des critiques sont souvent formulés par des victimes d’actes criminels ou délictueux, des infracteurs également (terme choisi de préférence à délinquants ou auteurs qui ont leurs connotations propres), mais aussi par certains professionnels de la justice, tous estimant que le système en usage aboutit parfois plus à aggraver les blessures ressenties qu’à restaurer la paix dans la société.

+­ Les victimes se sentent souvent ignorées ou peu entendues, voire malmenées par un système qui s’intéresse peu à la personne de celui qui a subi l’acte commis ; l’intérêt étant avant tout porté sur l‘acte lui-même, considéré comme une atteinte à l’ordre public et à l’Etat qui en arrive en final à se substituer en quelque sorte à la victime.

+­ Les infracteurs sont plus préoccupés de leur défense que de leur responsabilité et de ce qu’elle pourrait justifier en terme de réparation à l‘égard de la victime.

+­ H. Zehr introduit un acteur souvent ignoré dans nos sociétés : la communauté et ses membres dont il considère qu’ils sont parties prenantes à la situation puisque membres du corps social de proximité qui a lui aussi été impacté de manière péjorative par l’acte commis.

En conséquence, si le terme de justice restaurative est un terme générique qui recouvre diverses pratiques, celles-ci répondent toutes aux mêmes principes, au premier rang desquels la prise en compte des besoins des personnes, besoins mal satisfaits dans le cadre du système judiciaire en place.

Pour lutter contre les idées fausses qui peuvent circuler, H.Zehr tient à préciser aussi ce que la Justice restaurative n’est pas :

+­ La Justice restaurative n’est pas une création nord-américaine récente. On en trouve la trace dans des communautés mennonites notamment, au Canada ou aux Etats-Unis, mais aussi dans des cultures autochtones d’Amérique du Nord et de Nouvelle-Zélande. Ses racines sont pour H. Zehr « aussi vieilles que l’humanité » (p. 34) ;

+ Elle ne vise pas en priorité à obtenir le pardon, même si elle peut conduire à le faire advenir ;

+ Ça n’est pas une médiation : elle est le plus souvent fondée sur une rencontre, mais pas toujours et en tout état de cause cela ne saurait être une rencontre de deux parties en position d’égalité et de négociation ;

+ ­ Son objectif premier n’est pas non plus d’éviter la récidive, qui si elle advient en est une conséquence bien sûr bénéfique, mais indirecte ;

+ Les modalités de la justice restaurative sont très diverses, pour être adaptées à un contexte et il doit en être ainsi durablement ;

+ ­ Elle n’est pas réservée aux cas d’infractions mineures ;

+ La Justice restaurative n’est pas forcément destinée à remplacer la justice pénale, et elle « n’est pas la réponse ultime à toutes les situations » (p. 34) ;

+ ­ Elle n’est pas forcément une alternative à la prison, et elle n’est d’ailleurs pas incompatible avec une peine de prison.

Quelques grands principes

Pour Howard Zehr, un acte criminel, et ceci quelle que soit la société concernée, c’est une violation de personnes et de liens interpersonnels, qui engendre des obligations consécutives, dont la première devrait être une forme de réparation des torts subis. Là encore, est très présente l’idée que nous sommes en société, en relations tous les uns avec les autres et que le tissu social a été détérioré par l’acte commis, au-delà de ses premières, mais pas seules conséquences sur une victime directe. D’où certaines différences entre la justice pénale et la justice restaurative :

+ Pour la justice pénale, le crime est une violation de la loi et de l’Etat, qui engendre une culpabilité, que celui-ci va rechercher et établir, pour imposer une rétribution en punissant. 

+ Pour la justice restaurative, le crime est une violation de personnes et de liens interpersonnels, qui crée des obligations, qui devront être réparées dans le cadre d’une réflexion avec la victime, l’infracteur, et les membres de la communauté.

Les questions que l’on va se poser dans un cadre ou dans l’autre :

+ Pour la justice pénale : quelle loi a été transgressée ? Par qui ? Quelle est la sanction adaptée ?

+ Pour la justice restaurative : qui a subi un tort ? Quel est leur besoin qui en résulte ? Qui est en mesure d’y apporter la réponse adaptée ? « Les besoins, plutôt que les punitions, sont au cœur de la justice restaurative » (p. 41) .

Clairement, alors que la justice pénale s’intéresse à l‘acte, la justice restaurative elle, se préoccupe des personnes de la victime, de l’infracteur, et de la communauté.

Une définition de la justice restaurative est proposée par l’auteur : « un processus destiné à impliquer, autant qu’il est possible, ceux qui sont touchés par une infraction donnée et à identifier collectivement les torts ou dommages subis, les besoins et les obligations, afin de parvenir à une guérison et de redresser la situation autant qu’il est possible de le faire » (p. 62).

 « Les 10 principes de la Justice restaurative »

1. S’intéresser en priorité aux dommages subis plutôt qu’aux lois enfreintes

2. Porter un même intérêt aux victimes et aux infracteurs et intégrer les uns et les autres dans le processus

3. Travailler à la restauration en faveur des victimes, en leur permettant de prendre un rôle actif et en répondant à leurs besoins tels qu’elles-mêmes les voient

4. Soutenir les infracteurs tout en les encourageant à comprendre, accepter et tenir leurs obligations

5. Reconnaitre que les obligations des infracteurs, même si elles sont difficiles à tenir, ne doivent pas être considérées comme une punition et qu’il doit rester possible d’y obéir.

6. Créer les conditions nécessaires à un dialogue, direct ou indirect, entre les victimes et les infracteurs, si cela est opportun.

7. Trouver des façons constructives d’impliquer la communauté et de répondre aux conditions criminogènes propres à la communauté

8. Encourager la collaboration des victimes et des infracteurs et leur réintégration dans la communauté, plutôt que la coercition et l’isolement

9. Ne pas négliger les conséquences inattendues d’un processus de justice restaurative et chercher à les résoudre

10. Montrer du respect envers toutes les parties : victimes, infracteurs, collègues du système judiciaire » (p. 65).

La mise en pratique

Elle va prendre une forme choisie selon les caractéristiques de la situation examinée ; rencontre entre victime et infracteur, réunion entre des victimes du même type d’acte et des infracteurs sans qu’ils soient concernés par la même affaire, avec ou non, participation de tiers représentants la communauté.

Elle ne pourra intervenir que si les partenaires l’ont demandée ou s’ils l’ont formellement acceptée. Leur accord est strictement indispensable, de même que la reconnaissance préalable par l’infracteur de sa responsabilité dans l’acte commis.

La phase ultime sera constituée d’une ou des rencontres entre les personnes, permettant aux victimes d’exprimer ce que l’acte a représenté pour elles, leur ressenti et leur trouble, et aux victimes d’admettre leur culpabilité et leur ressenti actuel, et enfin leurs perspectives à chacune.

La condition de réussite de ce type de démarche – particulièrement celle qui va mettre face à face la victime et son infracteur – est la préparation de chacun des deux par des échanges avec un facilitateur formé à cette démarche ; l‘objectif final est bien de rechercher avant tout la satisfaction du besoin pour chacun de comprendre ce qu’il s’est passé, pourquoi et quel est le vécu des interlocuteurs. Il est capital que la démarche ne conduise en aucun cas à aggraver les troubles ressentis et il est toujours possible que le processus soit interrompu avant le terme du fait de la volonté d’un interlocuteur ou de l’inutilité probable de la rencontre.

Il s’agit donc d’une démarche qui peut s’avérer très utile, nécessaire pour un partenaire, mais qui ne pourra être mise en œuvre systématiquement et dans tous les cas compte tenu de l’importance et la difficulté qui la caractérisent. Il serait en revanche impératif d’être en capacité de la réaliser quand les interlocuteurs concernés l’acceptent et parfois même la sollicitent.

Une question reste en suspens au terme de la lecture de ce livre, et c’est volontairement de la part de l’auteur : celle de savoir quelle place précise doit prendre la justice restaurative par rapport à la justice pénale que nous pratiquons dans nos sociétés. C’est plutôt dans une visée dynamique que Zehr envisage la question. Aujourd’hui, il préconise une place à côté et non concurrente, déjà capitale à faire admettre et réaliser pour répondre à des besoins négligés actuellement, ce qui suppose que le débat et la réflexion soient ouverts.

Admettons qu’il y a là matière à un gros travail à mener dans le contexte de notre culture pénale telle qu’elle est partagée dans un pays comme le nôtre.

Plus tard, et quand la justice restaurative aura trouvé sa place, pourquoi pas autre chose et comme le dit H. Zehr dans sa conclusion : « La justice restaurative exige de nous que nous changions non seulement notre manière de voir, mais aussi les questions que nous avons coutume de nous poser en matière de justice » (p. 90).

On serait tenté de préciser qu’il y aurait là en bonne place pour nous, la question à notre avis cruciale de ce que nous cherchons à faire quand nous voulons punir des actes que la société réprouve.

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Le pionnier du concept moderne de justice réparatrice est un criminologue américain, Howard Zehr, né en 1944. Il a effectué des études d’histoire d’abord, puis de sociologie close par un doctorat. Professeur de justice restaurative à l’Eastern Mennonite University, il y codirige le programme de transformation des conflits. Il a été directeur du Bureau du Crime et de le Justice au sein d’un organisme humanitaire, le Comité central mennonite américain, ceci de 1977 à 1996. Il a par ailleurs été photographe et reporter en Amérique du Nord et dans différentes régions du monde et a publié à ce titre des ouvrages qui témoignent de son intérêt pour les populations déshéritées et pour les victimes parfois « sans voix et cachées » que sont les enfants et les familles des personnes emprisonnées. Il est aujourd’hui conférencier et a fait connaitre sa doctrine à travers le monde, contribuant largement à la diffuser aux États-Unis d’abord où elle est mise en œuvre dans certains états, au Brésil, au Japon, en Jamaïque, en Irlande du Nord, en Grande-Bretagne, en Ukraine et en Nouvelle-Zélande où elle constitue la base de la justice pour mineurs actuellement. Il a publié de nombreux ouvrages dont l’un en 2002 « The little book of restaurative justice » a été traduit en français et fera l’objet de la présente présentation. Son titre : « La justice restaurative, Pour sortir des impasses de la logique punitive », éditions Labor et Fides, 2012. Ce livre est préfacé par Robert Cario, professeur de criminologie et promoteur de la justice restaurative en France.

La justice restaurative… Et en France ?

Note rédigée par Alain Chalochet

Une idée du contexte international d’abord : depuis plusieurs années diverses institutions internationales soulignent l’intérêt de la justice restaurative ou réparatrice, et l’importance de la mettre en place, tout en laissant à chaque pays la liberté des modalités choisies. Il s’agit de l’ONU (résolution de l’Assemblée générale 4-12-2000), du Conseil de l’Europe, conférence des ministres européens de la justice 7-4-2005), du Parlement et du Conseil européen (directive du 25-10-2012).

Depuis la loi du 15 Août 2014 qui est venue modifier le code de Procédure Pénale [Articles 10-1, 10-2 et 707-4]  en ce sens, la justice restaurative est bien prévue dans la législation française. En voici le libellé précis dont tous les éléments sont importants :

« A l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative. Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu’après que la victime et l’auteur de l’infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l’administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République. »

Une circulaire du 15 mars 2017 relative à la mise en œuvre de la justice restaurative est venue préciser et parfois renforcer le dispositif prévu et elle était déclarée applicable immédiatement.

Quelques points spécifiques

L’autonomie de la mesure de justice restaurative par rapport à la procédure pénale est affirmée. Ainsi, « quel que soit le déroulement de la mesure, son succès ou son échec restent sans incidence sur la réponse pénale. La procédure se poursuit en parallèle, même si, en pratique, la mesure peut indirectement faciliter l’exécution de la réparation ou influer positivement sur l’exécution de sa peine. »

« Cette autonomie implique une imperméabilité entre les deux dispositifs. La confidentialité de la mise en œuvre de la mesure est assurée par l’absence de pièce relative à la mesure de justice restaurative dans le dossier pénal, pour éviter tout risque d’influence sur la décision de poursuite, le prononcé de la peine, le montant des dommages-intérêts ou l’octroi d’aménagements de peine. Seule la mention de la proposition d’une telle mesure peut être versée au dossier, sans autre élément. »

« La loi garantit la confidentialité des échanges. Si l’autorité judiciaire est informée de la mise en place d’un dispositif de justice restaurative et peut avoir connaissance des personnes qui y participent, aucun écrit sur la teneur des échanges ne peut lui être transmis, sauf accord des deux parties ou si un intérêt supérieur le justifie. »

Les conditions préalables indispensables à la mise en œuvre de la mesure sont rappelées : ­

+ La reconnaissance des faits par les auteurs ­

+ L’information complète des victimes et des auteurs sur la mesure ­

+ Le consentement exprès des victimes et des auteurs

Un Comité national de la justice restaurative est mis en place chargé d’évaluer la pertinence des formations proposées et d’expertiser les formations et les expérimentations en cours.

Enfin des annexes présentent :

+ les exemples de mesure de justice restaurative qui peuvent être pratiquées : rencontres condamnés-victimes et rencontres détenus-victimes (rencontres de groupe de victimes et d’auteurs concernés par le même type de fait), cercle de soutien et de responsabilité et cercles d’accompagnement et de ressources (pour les auteurs d’infractions à caractère sexuel), la médiation restaurative ou auteur/victime (avec la victime et « son » auteur), la conférence restaurative ou de groupe familial (avec la participation de proches susceptibles d’apporter un soutien), le cercle restauratif (situations ne permettant pas d’engager l’action publique mais offrant un espace de parole).

+ La convention de partenariat pour la mise en place de ce type d’actions

+ Le formulaire de recueil du consentement des personnes

+ Les organismes reconnus pour dispenser les formations aux intervenants.

Le constat actuel

Le constat général qui peut être fait à ce jour est que la justice restaurative est très peu mise en pratique, ceci alors que d’autres pays développent activement des pratiques de ce type, Belgique en Europe, Brésil, Nouvelle-Zélande particulièrement dans la justice pour enfants.

Quelles sont les raisons de ce retard ?

+ Son introduction récente dans notre réglementation certainement ;

+ Sa faible insertion dans notre culture judiciaire ;

+ La faiblesse des moyens mis en place par le ministère de la Justice ;

+ Mais aussi la réalisation récente de formations et donc le très petit nombre de tiers aptes à mettre en œuvre le processus ;

+ Les réticences de certains partenaires professionnels ou les limites qu’ils donnent à cette offre spécifique ;

+ La méconnaissance quasi absolue dans le public de l’existence de la justice restaurative et des diverses possibilité qu’elle offre. C’est certainement là le point premier, sur lequel l’accent doit être mis en priorité.

En réalité, il ne s’agit à ce jour dans notre pays que d’expériences menées par des pionniers, dans quelques régions dont la région lyonnaise, mais à une faible échelle et dont il faudrait qu’elles soient connues de la société française.

Punir, une passion contemporaine

Note rédigée par Alain Chalochet

Didier Fassin, né en 1955, est médecin, puis anthropologue et sociologue.
Il est actuellement professeur de Sciences sociales à l’Institute for Advanced Study de Princeton et directeur d’études à l’EHES. Après avoir d’abord étudié sur le terrain des questions d’ordre médical en Amérique du Sud ou en Afrique, il s’est tourné vers des questions sociales ou politiques. 
Sa préoccupation première porte sur les dimensions politiques de la santé (il étudie le Sida au Congo, la santé maternelle en Equateur, le saturnisme infantile en France). Les inégalités sont centrales dans ses réflexions, qu’elles soient présentes dans le domaine de la santé, puis dans la vie sociale (les politiques de la vie et comment on traite les êtres humains), ou dans le champ de la justice.
Etudiant des questions morales qui prêtent à discussions, il cherche à replacer les évidences apparentes dans l’histoire en recherchant leurs ressorts politiques sous-jacents (travail sur la généalogie de la catégorie de victime par exemple). Sa démarche est le plus souvent fondée sur un principe : ne pas s’arrêter – comme on s’en contente trop souvent – aux évidences du monde social. Celles-ci sont souvent fausses et il est préférable de reprendre une certaine distance, cette distance que permet un travail empirique mené sur le terrain en contact avec les acteurs de ce terrain.
Sa démarche allie donc toujours étude de terrain et réflexions mêlant le droit, la sociologie et la philosophie. C’est le cas notamment dans l’ouvrage étudié ici.
Ses études sur la police, la justice et la prison s’attachent à chercher la dimension répressive du traitement des personnes vulnérables. Ses livres « La force de l’ordre » (2011) sur la police dans les quartiers populaires, et « L’Ombre du monde » (2017) sur la condition carcérale sont à ce titre, particulièrement significatifs. Présentant l’étude des pratiques des intervenants, ils font apparaitre que ces pratiques ne sont pas toujours conformes aux discours établis.
Le livre « Punir, une passion contemporaine » réfléchit à partir de ces constats, aux « fondements de l’acte de punir » en alliant réflexion juridique, sociologique et philosophique. Il est issu de conférences données par D.Fassin à l’Université de Berkeley et qu’il a reprises ensuite pour fournir la matière de ce livre.

Constats

Le livre s’ouvre sur un constat : le nombre de détenus emprisonnés ne cesse d’augmenter : 20 000 en 1955, 43 000 en 1985, près de 70 000 en 2015[1]. Le lecteur peut même compléter avec le nombre actuel : 71 828 au 1er Avril 2019[2].

Peut-on dire que ce phénomène est consécutif à une augmentation de la criminalité ? Ça n’est pas le cas, puisque celle-ci a tendance à régresser notamment dans ses manifestations les plus graves.

Sur ce point précis, il faut noter que si l’auteur donne certes ses références qui sont objectives, on sait bien que ce constat n’est pas partagé par nombre de nos concitoyens, ce qui explique en bonne part la réussite du populisme pénal dont nous parle l’auteur par ailleurs. D’où la nécessité de travailler l’argumentation pour la faire mieux entendre qu’elle ne l’est souvent.

Quant à l’augmentation du nombre de détenus qui, elle, est incontestée, et s’appuie sur les statistiques du Ministère de la Justice, on la constate aussi dans de très nombreux pays et elle semble bien aujourd’hui constituer la règle.

En fait, l’auteur nous l’explique : nous sommes actuellement dans un « moment punitif »[3]  encouragé par une sorte de populisme pénal très en vogue reposant sur la conjonction d’une sensibilité accrue aux incivilités et délits de la vie courante, et d’un discours politique très axé sur les enjeux de sécurité. Si l’on comprend bien le sens général de la formule et si on en ressent la validité, on regrettera que cette notion de populisme ne soit creusée plus avant, quant à ses ressorts profonds, compte tenu du fossé qu’elle contribue à établir entre la compréhension populaire majoritaire de la question pénale et celle qui peut résulter de ce livre par exemple.

Le châtiment voulait être la solution au problème suscité par la criminalité. Or on peut dire que, de solution, il est devenu maintenant le problème. Problème, « il l’est à cause du nombre d’individus qu’il met à l’écart ou place sous surveillance, à cause du prix qu’il fait payer à leurs familles et leurs communautés, à cause du coût économique et humain qu’il entraine pour la collectivité, à cause de la production et la reproduction d’inégalités qu’il favorise, à cause de l’accroissement de la criminalité et de l’insécurité qu’il génère, à cause enfin de la perte de légitimité qui résulte de son application discriminatoire ou arbitraire. »[4] 

C’est cela qui amène l’auteur – après avoir étudié la question sous la forme d’études sur la police, la justice, la prison – à vouloir cette fois y réfléchir de manière théorique  en se préoccupant maintenant « des fondements de l’acte de punir ».

Il procède donc à l’examen de trois questions : Qu’est-ce que punir ? Pourquoi punit-on ? Qui punit-on ?, qui seront examinés dans le domaine de la justice institutionnelle, mais aussi dans ceux de la police et du pénitentiaire.

Qu’est-ce que punir ?

D.Fassin part de la définition – généralement reconnue par les juristes et les philosophes – donnée du châtiment en 1959 par un juriste et philosophe anglais H.L.A. Hart : « Il doit impliquer une souffrance ou d’autres conséquences normalement considérées comme désagréables ; il doit répondre à une infraction contre des règles légales ; il doit s’appliquer à l’auteur réel ou supposé de cette infraction ; il doit être administré intentionnellement par des êtres humains autres que le contrevenant ; il doit être imposé par une autorité instituée par le système légal contre lequel l’infraction a été commise. »[5] 

Il va ensuite s’appliquer à vérifier si aujourd’hui ces 5 critères sont bien présents et respectés dans la réalité des faits, ceci à partir d’exemples divers qu’il explicite et qui sont tirés de ses observations de terrain. On s’aperçoit là que les choses sont beaucoup moins claires dans les faits réels que dans la théorie, et que même les intervenants, policiers, juges, ne perçoivent pas cet écart facilement, même en toute bonne foi. Par exemple, des questions sont vite soulevées, comme celle de la frontière entre punition et vengeance par exemple, ou celle de la réalité d’une équivalence du dommage causé et de la douleur infligée en retour.

Sa conclusion au terme de cet examen de la présence dans les faits des critères de LLA Hart : un seul critère peut être considéré comme toujours présent : celui de la souffrance infligée. D.Fassin note au passage que cette souffrance imposée est un fait relativement nouveau historiquement, qui a succédé à la loi du talion d’abord, puis à celle de dette due à la victime et à la société, et que cette souffrance imposée est lié à la moralisation inspirée par le christianisme. 

Cela le conduit à poser la question sous une autre forme : « Pourquoi punit-on ? ».

Pourquoi punit-on ?

La théorie du droit distingue la définition du châtiment (qui se veut neutre quant aux valeurs) et la justification de celui-ci (qui implique un jugement moral). Dans la réalité, il parait bien difficile de s’en tenir à une distinction claire, d’autant que l’on pourrait distinguer la justification théorique posée par la loi, et la justification concrète a posteriori, celle du juge ou du policier, et pourquoi pas ensuite celle de l’observateur extérieur.

Quant à la théorie, ou plutôt les théories de la justification de la punition, puisqu’il en existe deux : une utilitariste, qui ne veut voir pris en compte dans le choix du châtiment que l’intérêt de la société et qui est donc tournée vers l’avenir, et l’autre rétributiviste, qui reste polarisée sur l’acte commis et sa juste rétribution, et qui s’en tient au passé.

La première vise à, soit empêcher l’auteur de commettre son acte, soit à le réformer en favorisant sa transformation, ou encore à offrir avec la peine un exemple tel qu’il puisse dissuader d’autres de le commettre. 

La seconde, apparait simple dans ses objectifs, elle ne vise qu’à faire souffrir celui qui est coupable. Pour Kant par exemple : «  La peine juridique ne peut jamais être considérée simplement comme un moyen de réaliser un autre bien, soit pour le criminel lui-même, soit pour la société civile, mais doit uniquement lui être infligée pour la seule raison qu’il a commis un crime »[6] . En cela, elle ne suppose qu’une appréciation interne de sa cohérence morale, puisqu’il ne s’agit que de choisir un mal équivalent à l’acte commis.

D .Fassin nous explique que ces deux théories apparemment inconciliables, sont souvent mêlées même dans la théorie et que par exemple, même les promoteurs du populisme pénal invoquent à la fois le caractère dissuasif et la sanction méritée.

Pour ce qui le concerne, sa conclusion sur ce point est finalement celle de Nietzsche « Il est impossible de dire aujourd’hui précisément pourquoi l’on punit »[7].

Les exemples vécus qu’il cite ensuite, visent bien à montrer que les décisions de justice sont plus complexes, et qu’il faudrait en fait examiner ce que leurs auteurs pensent avoir pris en compte et ce que l’on serait tenté de penser qu’ils ont en réalité pris en compte.

Et plus loin encore, ne constate-t-on pas que le châtiment ne procède pas autant que l’on veut le penser d’une logique rationnelle ? N’y a-t-il pas derrière, bien cachées, d’autres aspirations moins honorables. Le pas ne risque-t-il pas d’être vite franchi entre l’affirmation de Simone Weil (qui n’est pas citée là par D.Fassin) « Comme on dit de l’apprenti qui s’est blessé que le métier lui entre dans le corps, de même le châtiment est une méthode pour faire entrer la justice dans l’âme du criminel par la souffrance de la chair »[8]  et certaines conduites (dérivées ou non du désir de vengeance) qui conduisent à la volonté de faire souffrir à laquelle Nietzsche (cité lui par l’auteur) se réfère lorsqu’il parle  de « la volupté de faire le mal pour le plaisir de le faire » [9].

Qui punit-on ?

Mais tout ceci est moins impartial et juste que les théories philosophiques et le droit ne veulent bien le dire, et on s’en aperçoit en regardant de plus près la manière dont la loi s’applique.

Très vite la question se confond avec une autre : Que punit-on ? D. Fassin rejoint là E.Durkheim qui remarquait : « il ne faut pas dire qu’un acte froisse la conscience commune parce qu’il est criminel, mais qu’il est criminel parce qu’il froisse la conscience commune ».

L’auteur recourt là largement à ses études antérieures menées sur le fonctionnement de la police et de la justice et il relève qu’en effet la sanction ne se déploie pas uniformément dans le champ social, et que les populations défavorisées se trouvent en final plus pénalisées que les autres. Cela ne repose pas sur un plan murement réfléchi du législateur, mais sur le choix effectif des faits qu’il va décider de punir. Ceux-ci sont de plus en plus souvent ceux qu’une population défavorisée vivant dans des conditions difficiles, exposée par son âge, son contexte de vie, sa situation au regard de l’emploi, de la vie sociale, est exposée à commettre.  S’y ajoute aussi le fait que l’attitude du juge lors de sa prise de décision variera selon les garanties matérielles présentées par l’auteur de l’acte.

Le résultat est bien là en tout cas et nombre de situations rencontrées le démontrent,  ce sont bien ces populations qui sont à risque effectif de faire l’objet de poursuites et d’enchainement péjoratifs. Bien au contraire on note la rareté des poursuites et la faiblesse des sanctions en cas de délinquance économique et financière. On ajoutera d’ailleurs, même si l’auteur ne le mentionne pas, la possibilité offerte de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui constitue clairement un privilège qui ne peut profiter qu’à des personnes appartenant à une catégorie sociale favorisée dans son statut social, ses connaissances, et plus proche de tous les types de pouvoir.

En conclusion

Voilà un ouvrage qui n’hésite pas à prendre de face une fausse évidence bien établie ; qui met en discussion une question sur laquelle nous vivons sans manifester aucun esprit critique, et sur laquelle nous acceptons d’être entretenus dans une sorte d’aveuglement. Les prisons sont surpeuplées : la solution est donc d’en construire de nouvelles. Seul vrai sujet de controverse : combien de places supplémentaires faut-il construire ?

Et nos acteurs politiques de donner des chiffres à la mesure du souci qu’ils veulent afficher de la sécurité de leurs concitoyens….

Et pourtant, cette conception du châtiment n’en arrive-t-elle pas à menacer l’ordre social ? «  Censé protéger la société du crime, le châtiment apparait de plus en plus comme ce qui la menace »[10] . Le coût de l’incarcération dans différents registres humain, social, économique, tel qu’il est cité plus haut (supra p.4) devrait à lui seul faire réfléchir.

Des voix se sont déjà élevées, ont émis l’idée que d’autres formes de sanction étaient possibles pour certains actes moins graves, ou que d’autres formes d’accompagnement des auteurs étaient possibles ; mais leur portée est restée bien limitée.

Voici donc un document fondé à la fois sur des faits et des expériences, mais aussi sur une réflexion alliant droit, sociologie et philosophie. C’est dans son caractère d’ouvrage étayant une vraie réflexion en profondeur sur des constats effectués sur le terrain que réside la vraie nouveauté, et c’est cette caractéristique qui dû lui donner un impact nouveau.

Force est de constater deux années après sa parution que le chemin qui permettra de « repenser le châtiment »[11]  reste à parcourir.

Le lecteur se pose au terme de la lecture une interrogation primordiale : que faut-il pour que ces réflexions soient entendues pour donner lieu enfin à un questionnement démocratique salutaire sur une question de cette importance ?

On mentionnera un petit regret qui ne remet nullement en cause l’intérêt majeur de cet ouvrage, celui que n’y soient pas abordées les alternatives possibles à la détention proposées depuis assez peu de temps par la législation, et qui sont en voie de développement – certes timide -, même si on sait que ça n’était pas l’objectif premier de l’auteur, qui est sociologue et anthropologue et non spécialiste de criminologie.


[1] Page 9

[2] Données Ministère de la Justice

[3] Page 15

[4] Page 16

[5] Page 43

[6] Page 88

[7] Page 93

[8] page 24 L’enracinement : prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain S.Weil 1943

[9] Page 106

[10] Page 16

[11] Titre de la conclusion de l’auteur page 153

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